Texte de Denise Pelletier

lu à la présentation de Sébastien Pilote

au Gala de l'Ordre du Bleuet, le 16 juin 2012



Adolescent, Sébastien Pilote aimait filmer les mariages qui se déroulaient dans son village natal, Saint-Ambroise. Il ne se doutait pas alors que son premier long métrage, Le Vendeur, une histoire toute simple plantée au cœur de l'hiver du Lac–Saint-Jean saurait toucher des gens partout dans le monde.


Sélectionné dans plus de 50 festivals internationaux, le film a été récompensé maintes fois, en plus de recevoir un excellent accueil de la critique et du public québécois. Grand Prix du Jury à Mumbai, Prix de la Fédération internationale de la Presse cinématographique à Mannheim, San Francisco, et Turin, Prix spécial du jury à Mannheim, Prix Gilles-Carle et Prix Luc-Perreault/La Presse aux Rendez-vous du cinéma québécois, pour ne citer que quelques-unes de ces récompenses. Quant au comédien Gilbert Sicotte, il a reçu, pour son inoubliable interprétation du vendeur de voitures Marcel Lévesque, le prix Jutra du Meilleur acteur et le Prix du meilleur acteur à Mumbai.


On ne peut s'empêcher de penser que c'est un peu de nous-mêmes que Sébastien Pilote a présenté par le biais de ce film qu’il a écrit, réalisé et finalement tourné à Dolbeau-Mistassini, sur fond de fermeture d'usine et de froidure à -40. Ce film, du jeune cinéaste né et formé au Saguenay, profondément attaché à sa région natale où il réside toujours, a été fort remarqué aux États-Unis et dans plusieurs pays d’Europe jusqu’aux confins de l’Asie.


Cette remarquable réussite s'inscrit dans le parcours en ligne droite d'un créateur qui, avant d'être cinéaste, est un cinéphile passionné. Guidé par des professeurs comme Pierre Demers au Cégep de Jonquière et Denis Bellemarre à l'Université du Québec à Chicoutimi, Sébastien Pilote dévore tout et fait ses classes avec les grands maîtres d'ailleurs et d'ici : Bergman, Truffaut, Polanski, Kurosawa, Claude Jutra, Michel Brault et tant d'autres.


Puis, avec le cinéaste Éric Bachand, il fonde Regard sur le court métrage au Saguenay, dont la première édition se tient en 1997. Devenu aujourd'hui le festival de courts métrages le plus prisé par la profession en Amérique du Nord et l'un des plus fréquentés du grand public, l'événement attire chaque année au Saguenay des cinéphiles et des créateurs du Québec et du monde.


Tourner à tout prix, c'est le titre d'un volet du festival, et c'est ce que fait Sébastien Pilote après avoir obtenu son Baccalauréat interdisciplinaire en arts, option cinéma de l'UQAC. Il enchaîne documentaires, capsules pour la télévision, publicités, ainsi que le film improvisé du festival Regard en 2008. Ses courts métrages Autogare, Wiper, On débarrasse, Bébé à Bord reçoivent un bon accueil.


Puis il écrit, réalise et produit Dustbowl Ha!Ha! Immédiatement remarqué, le court métrage voyage et reçoit de nombreux prix, à Barcelone et à Montréal notamment. Ce bref portrait d'un ouvrier qui perd son emploi à la fermeture de l'usine Port-Alfred est également vu à Clermont-Ferrand, à Locarno, à Venise, à Paris, à Moncton, à Toronto, ouvrant ainsi la voie au long métrage Le Vendeur.


Avec l'humilité de ceux qui se reconnaissent des modèles et des guides, le cinéaste, scénariste et réalisateur saguenéen sait s'inspirer du travail des autres tout en ayant déjà une signature personnelle, unique. Il possède à merveille l'art de mettre en évidence l'humain ordinaire et ses petits drames quotidiens dans un environnement social souvent symbolisé par le paysage où il évolue. Comme les plus grands, il sait nous conduire du particulier à l'universel.


Son prochain long métrage, Le Démantèlement, qu'il souhaite tourner en région, évoquera le sort d'un agriculteur qui vend la ferme familiale pour subvenir aux besoins de ses deux filles. On y verra notamment Gabriel Arcand, Gilles Renaud et Lucie Laurier. Sa source d'inspiration : un roman de Balzac, Le Père Goriot.


Touché par les récompenses et les éloges, Sébastien Pilote les apprécie notamment parce qu'ils lui permettent de continuer à pratiquer son art. Cet art pour lequel sa passion grandit à mesure qu'il en maîtrise mieux les différents aspects et qu'il découvre comment le cinéma peut toucher, de façon parfois inattendue, des gens de toutes cultures.


Souhaitons à ce Bleuet dont nous pouvons déjà être fiers de pouvoir continuer à mettre en chantier et à réaliser tous les projets qui lui viennent en tête. Nos vœux ne lui seront pas inutiles, car, et c'est tout à son honneur, il n'a pas choisi la voie la plus facile.



Le 16 juin 2012

SÉBASTIEN PILOTE


Cinéaste

Révélation d’un talent exceptionnel


fut reçu membre de L’Ordre du Bleuet


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vendredi 7 juin 2013

Sébastien Pilote , un vibrant plaidoyer sur l'importance de l'occupation du territoire par les artistes.

 
Un témoignage de Sébastien Pilote qu'il ne faut surtout pas perdre livré lors de la soirée au bénéfice du Conseil des arts de Saguenay qui a eu la bonne idée de le publier dans son intégralité. Nous ne pouvions hésiter à le partager.
 
 
Sébastien Pilote au Conseil des arts de Saguenay
Photo CAS
 
 
Statut
De Conseil des arts de Saguenay
** Allocution du réalisateur Sébastien Pilote prononcée lors du cocktail de la soirée-bénéfice **

"Je suis cinéaste. Et on me demande très souvent pourquoi je reste au Saguenay. T’es cinéaste, t’es au Saguenay? Le monde est toujours étonné. Ils font la grimace. Ils sourient. Ils pensent que je ne suis pas sérieux… Des fois, je comprends, des fois ça m’énerve. Dans ce temps-là, j’explique que pour moi c’est important d’occuper le territoire. L’occuper physiquement, mais aussi au niveau de l’imaginaire. Que c’est bien, par exemple, de creuser des trous et de mettre des drapeaux dans le Grand Nord québécois, mais aussi, c’est important d’y accueillir des poètes, des écrivains, des cinéastes, des architectes… C’est de cette manière-là que le territoire finit par réellement nous appartenir. Quand on occupe physiquement un territoire pour exploiter ses ressources naturelles, y implanter des usines, c’est bien, mais sans l’occuper culturellement, je pense que c’est la pire chose qui puisse arriver à une société, à une ville. Elle se meurt. Elle est toujours là, mais elle pourrit de l’intérieur. Ça tire l’humanité vers le bas. Ça enlève son sens à la vie. Et je pense que c’est dans ces moments-là, qu’on se met à chercher le sens dans les mauvais endroits. Ce qui peut devenir dangereux lorsqu’on est plusieurs à le faire… En groupe. Chercher le sens au mauvais endroit…

Quand on regarde la place qu’occupait la culture, les arts, la philosophie, les sciences, dans les grandes sociétés d’autrefois, dans les grandes villes, parfois petites, mais GRANDES, et comment cette culture a tiré les être humains vers le haut, et comment on profite encore des vestiges et des enseignements de ces sociétés-là, on ne peut qu’être étonnés de voir comment aujourd’hui, on a réduit dans notre société, dans notre ville, la place des arts et de la culture, des penseurs et des artistes. On l’a marginalisée. En la confondant avec l’ « industriel show-business » entre autres. Mais en étant indifférents surtout. Moi, ça me bouleverse. Ça me vire à l’envers et ça m’inquiète. Les arts, et la culture en général, c’est une chose qui ne doit pas rester en marge, en parallèle, ce n’est pas un mal nécessaire, ce n’est pas un divertissement passager et occasionnel, ce n’est pas une SORTIE un weekend, ou un petit soir de semaine. Ce n’est pas une activité, une spécialité. La culture n’est pas un passe-temps de temps-en-temps. C’est TOUJOURS. À chaque jour. Ça doit être au cœur de nos vies, de nos villes. Dans notre travail! Et c’est là que ça devient passionnant. C’est l’art de vivre. C’est l’art de construire. Ce n’est pas sorcier, il s’agit de s’y intéresser. Faut savoir par où commencer. D’abord, il faut rejeter l’indifférence. C’est le pire obstacle. Sans doute le plus insurmontable pour beaucoup de monde. Puis, ensuite, on ouvre un livre sur la poésie, sur le cinéma, sur l’histoire de la peinture, la photographie, et c’est parti! On touche à l’universel. À quelque chose qui ressemble à la beauté.

Malheureusement, aujourd’hui, on est aveuglés et obsédés par le « rentable », l’utile, le court terme. Le spectaculaire! Le poète, écrivain et penseur autrichien Stefan Zweig écrivait : « Le concret, le palpable, est toujours plus accessible à la masse que l’abstrait, c’est pourquoi en politique, (j’ajouterais dans les médias modernes,) tout mot d’ordre exprimant un antagoniste, (un ennemi) et dirigé contre une classe, une race, une religion, (et j’ajouterais les syndiqués, les fonctionnaires, les artistes, les étudiants et les intellectuels… le monde qui est allé à l’école trop longtemps… vous savez?) trouvera toujours plus d’écho que la proclamation d’un idéal qui lui est moins commode à saisir. »

Les arts, la culture, croire en l’homme, en l’humanisme, c’est un idéal. Je trouve qu’au Québec actuellement, il y a beaucoup trop de monde qui essaie de MONTER les gens les uns contre les autres. On a juste besoin d’ouvrir la radio, de lire certains journaux, lire les « commentateurs professionnels » qui ont une opinion sur tout, mais surtout sur rien, pour le remarquer. Il y a même des personnes qui en ont fait une carrière. Des radios qui en ont fait un credo. « Monter les gens les uns contre les autres. » Les arts, la culture, ça sert à faire le contraire. C’est pour ça qu’on est là ce soir, ensemble, et je vous remercie.

En souhaitant que vous ayez la même ambition que moi à ce qui a trait à la vie en société dans notre ville, je vous dis bonne soirée! et merci d’appuyer le Conseil des arts de Saguenay!"

- Sébastien Pilote
 
 
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Sébastien Pilote, reçu membre de l'Ordre du Bleuet en 2012
en compagnie de Guylaine Simard, présidente d'honneur du 3e Gala honorifique.
Photo Rocket Lavoie - Archives SODB


 

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